« Il y a un moment dans la danse où vous cessez d'être vous-même. Vous n'êtes plus Carlos Gavito, vous êtes juste un corps qui danse, qui respire avec la musique et avec votre partenaire. C'est un moment de liberté totale, parce que vous êtes libéré du poids de votre propre identité. »
— Carlos Gavito
Cette phrase du maestro argentin touche au cœur de ce que la danse révèle de plus profond sur notre rapport au corps et à la présence. Au-delà de la technique, au-delà même de l'expression artistique, il existe dans la danse un seuil mystérieux où l'ego se dissout.
L'identité comme fardeau
Gavito parle du "poids de sa propre identité" avec une justesse saisissante. Notre nom, notre histoire, nos rôles sociaux, nos peurs et nos attentes forment une carapace invisible que nous portons en permanence. Cette identité construite, si nécessaire dans la vie quotidienne, devient paradoxalement un obstacle à l'expérience pure du mouvement.
Dans la danse, et particulièrement dans le tango où la connexion avec l'autre est primordiale, cette armure psychique doit se fissurer pour laisser place à quelque chose de plus essentiel : la pure réceptivité du corps qui écoute et répond.
Le corps comme médiateur
"Vous êtes juste un corps qui danse" - cette phrase pourrait sembler réductrice, mais elle révèle en réalité une vérité profonde sur la nature de l'expérience somatique. Le corps n'est pas ici objet, mais sujet ; pas instrument, mais être entier qui pense, ressent et communique par le mouvement.
Cette transformation de la conscience corporelle rejoint ce que les traditions contemplatives orientales nomment l'état de "non-soi" ou ce que les pratiques somatiques modernes appellent la "présence incarnée". Le mental analytique s'efface au profit d'une intelligence kinesthésique qui précède la pensée.
La respiration comme pont
"Qui respire avec la musique et avec votre partenaire" - Gavito place ici la respiration au centre de cette expérience de dissolution. La respiration devient le fil conducteur qui relie trois dimensions : soi, l'autre et l'univers sonore qui les enveloppe.
Cette synchronisation respiratoire n'est pas métaphorique. Elle engage le système nerveux autonome, créant un état de co-régulation où les corps communiquent à un niveau préconscient. La danse devient alors méditation partagée, où deux respirations ne font plus qu'une avec le souffle de la musique.
La liberté de l'oubli
La "liberté totale" dont parle Gavito n'est pas licence mais libération. Elle naît de l'oubli momentané de qui nous croyons être pour découvrir ce que nous sommes vraiment : des êtres de mouvement, de souffle et de relation.
Cette liberté rejoint l'expérience mystique décrite dans toutes les traditions : l'instant où le pratiquant, qu'il soit danseur, yogi ou méditant, transcende les limites de l'ego pour toucher à une dimension universelle de l'existence.
Dans nos sociétés hyperindividualistes, cette sagesse du tango argentin nous rappelle que notre identité la plus profonde ne se trouve peut-être pas dans l'affirmation de soi, mais dans sa dissolution temporaire au service d'une expérience partagée plus vaste.
La danse nous enseigne ainsi que nous ne sommes pleinement nous-mêmes qu'en cessant de l'être.
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